Les intrusions sous-marines en Suède .

La mer d’Åland, mai 1982. Je suis commandant du patrouilleur lance-missiles HMS Vale. Après plusieurs jours de surveillance nous avons soudainement un contact sonar. Je le qualifie comme « sous-marin » et donne l’ordre de l’attaquer. À l’époque, nous avions seulement le droit d’utiliser une grenade sous-marine (avec 107 kg d’hexatonal). La cible est claire, avec un doppler bas ; quelques secondes avant le largage, je donne l’ordre de monter à 20 nœuds afin de prendre un risque pour mon propre navire. Largage… les secondes passent. Je suis un peu étonné de n’avoir aucune angoisse du fait que j’essaie de couler un sous-marin et tuer son équipage – au contraire. Un bruit sourd, le navire est fortement secoué. Résultat ? Rien. Il faut plus qu’une telle grenade pour réussir.

Prologue

Pendant la guerre, le capitaine de vaisseau Ragnar Thorén, attaché naval suédois à Helsinki, envoya des comptes rendus sur le comportement des sous-marins soviétiques. Voici quelques citations:

« On doit souligner comment les sous-marins russes ont navigué courageusement dans des eaux non libres et qu’ils ont plusieurs fois pénétré dans des fjords entourés par des zones d’archipels pleins des cailloux. »

« L’expérience montre aussi qu’il faut toujours être sur le qui-vive quant aux surprises du comportement des sous-marins russes. Si, par exemple, on les attend à l’extérieur d’une zone d’archipels on les trouvera peut-être veillant dans un archipel où ils sont venus en se faufilant près du fond entre des roches et des cailloux. »

Les intrusions

L’intrusion la plus connue d’un sous-marin soviétique est sans doute celle de fameux U-137[1] (« Whiskey on the rocks ») dans l’archipel de Karlskrona le 27 octobre 1981. Pour la Marine suédoise cette situation fut en même temps un soulagement, un danger immédiat et une surprise stratégique. Soulagement, parce qu’enfin, il serait impossible pour la presse et les cercles pacifistes/communistes de nier le fait. Danger parce qu’il sembla dans la semaine suivante que l’URSS envisagea de le libérer par l’usage de la force. Surprise stratégique enfin parce que le U-137 avait des armes nucléaires à bord – vraisemblablement des torpilles ou des mines.

L’autre intrusion bien connue est celle de plusieurs petits sous-marins dans Hårsfjärden (ou Horsfjärden) les deux premier semaines d’octobre 1982. Le fjord Hårsfjärden forme la plus importante base navale sur la côte orientale de la Suède. Cette intrusion a donné lieu aux spéculations de toutes sortes quant à l’origine des sous-marins. On y reviendra.

Cependant, il y avait bien d’autres intrusions entre les années 1950 et le début des années 1990 avec une forte augmentation entre 1981 et 1994. Pendant ces treize ans, la Marine recevra pas moins de 4 700 ‒ rapports, sonar, radar, optique ‒ des militaires et des civils. Beaucoup de ces rapports n’étaient pas fiables mais il y en avait bien d’autres rédigés par des militaires expérimentés et des civils ayant une grande connaissance des lieux (pêcheurs, marins…). Plusieurs de ces observations étaient faites à proximité de l’intrus. Une personne a même pu calculer le nombre d’émersions d’un périscope.

Cet article vise à expliquer ce qui s’est passé et pourquoi. L’intérêt de l’affaire est l’intrusion constatée d’un sous-marin dans l’archipel de Stockholm en octobre 2014.

La situation stratégique[2]

Pendant la guerre froide la Suède constitua un glacis entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie. Pour la Suède, la menace venait de l’est tandis que les forces navales et aériennes de l’OTAN constituaient un appui stratégique à l’ouest. En conséquence, la politique suédoise, dite de neutralité, avait besoin d’une assurance tacite des Occidentaux dans le cas d’une attaque de l’Union Soviétique. L’étendue de cette assurance – et la coopération qui allait avec – est toujours politiquement controversée[3]. Cependant, les Soviétiques en furent tenus au courant « grâce à » des espions ; pour le pacte de Varsovie, la Suède fait partie de l’OTAN[4].

La stratégie suédoise de l’époque s’est bien exprimée dans l’ordre d’opérations du CEMA[5] en 1967 : « Les forces armées ont vocation d’agir pour garder notre paix et notre liberté. Les forces armées devront donc avoir une composition et un état d’alerte tels qu’une attaque contre la Suède exigerait de si grandes ressources sur une longue durée que les gains possibles ne seraient raisonnablement vus comme valant les enjeux. » Le but primordial fut donc de dissuader l’adversaire potentiel de déclencher une attaque. Si cela ne réussissait pas, les forces armées auraient en premier lieu à se battre contre l’invasion afin d’empêcher que l’ennemi ne mette « un pied ferme » sur le territoire (la défense périphérique). En second lieu, les forces armées devraient ralentir la pénétration dans le pays (la défense en profondeur).

 

Cette stratégie se fonda sur l’appréciation des intentions soviétiques suivantes. Premièrement, une attaque de grande envergure contre la côte orientale afin de contrôler un couloir plus ou moins large menant à la Norvège afin d’y trouver des bases pour des attaques contre les communications maritimes de l’OTAN. Deuxièmement, une attaque contre la partie septentrionale du pays pour, par exemple, contourner la défense norvégienne. Troisièmement, une attaque contre la partie méridionale du pays dans le cadre d’une opération visant le contrôle des détroits baltiques. Aujourd’hui, les stratégistes doutent surtout du premier scénario ; voir ci-dessous.

 

L’URSS avait aussi, à partir des années 1970 ‒ nous le savons maintenant ‒ des raisons défensives de contrôler certaines parties de la Suède. Une offensive dans l’Europe centrale exigerait des transports maritimes à partir de Leningrad et d’autres ports soviétiques dans la Baltique vers l’Allemagne de l’Est. Avec le rayon d’action accru des avions de l’OTAN, il serait possible d’attaquer ces communications à partir de l’important système des bases aériennes dans le sud de la Suède. La côte orientale, avec ces archipels, pourrait aussi constituer des bases idéales pour les sous-marins ouest-allemands.

 

Dans les années 1980, il y eut une autre menace grave : la stratégie maritime américaine qui préconisait des attaques vers l’URSS ouest à partir de porte-avions opérant dans les fjords norvégiens. Il faut savoir que la défense aérienne suédoise fut essentiellement dirigée vers l’est et que la Suède n’attaquerait probablement pas – vu de l’URSS – des avions américains traversant le pays et n’aurait pas les moyens d’atteindre les missiles de croisière type Tomahawk.

 

Récemment, les archives de la Stasi (Ministère de la Sécurité d’État est-allemand) ont montré qu’à la même époque, l’URSS craignait que les États-Unis aient les moyens d’éliminer ses SNLE et donc d’attaquer en premier. Le résultat fut l’opération RYaN (Raketno-Yadernoye Napadenie (Ракетно ядерное нападение) оu attaque par missile nucléaire), qui commença en 1981. Cette opération fut, en premier lieu, une opération de renseignement avec le but de détecter des signes d’une telle attaque et, en second lieu, de la neutraliser par une grande attaque avec des armes nucléaires contre l’OTAN et l’Europe de l’Ouest, la Suède incluse[6].

 

Les théories

Jusqu’à l’intrusion d’U-137, les observations des sous-marins étrangers autour des côtes suédoises furent toujours rejetées comme étant des « sous-marins budget », c’est-à-dire un phantasme de la Marine pour obtenir une partie plus grande du budget de la défense. On fit état aussi que les zones de ces observations étaient souvent par petits fonds et qu’il y aurait donc été impossible pour un sous-marin d’y manœuvrer. Ces observations de CV Thorén étaient enterrées dans les archives !

Cependant, l’U-137 a bien été vu. Il y a deux explications pour son échouage. Pour les détracteurs, l’échouage fut la conséquence d’une erreur de navigation… à cause de l’alcool, d’un équipement, en panne, etc. Le sous-marin avait donc réussi à entrer dans l’archipel selon une ligne directe de la mer libre. Pour la Marine et les autres, il y avait bien une erreur mais seulement au dernier moment. L’entrée dans l’archipel fut délibérée. La question dans le dernier cas est bien sûr : pourquoi ? On y revient. Les deux théories sont toujours discutées et il y a une littérature abondante sur le sujet. Comme marin, l’idée d’une intrusion par le fait du hasard en milieu de nuit dans ces parages difficiles m‘est incompréhensible.

Pour l’opération dite d’Hårsfjärden en 1983, il y a, en principe, deux théories. L’une – qui colle avec le résultat d’une enquête officielle – est qu’il s’agissait d’une opération soviétique réunissant plusieurs mini-sous-marins ou autre engins sous-marins et un ou plusieurs sous-marins conventionnels. L’autre, qui est surtout proposée par le chercheur Ola Tunander, est plus compliqué. En effet, les Américains eurent peur que la visite programmée par le premier ministre suédois Olof Palme à Moscou aurait eu des répercussions négatives pour l’Alliance. Afin de le déstabiliser, les Américains et/ou les Britanniques montèrent une opération de mini-sous-marins avec le concours de quelques officiers de marine dont, surtout, l’amiral Stefensson, Major-Général des Armées. Selon les adhérents de la théorie complot cet amiral aurait donné l’ordre à une station de mines fixes de ne pas tirer au moment où le sous-marin avait quitté l’archipel pour le large. En effet, il avait bien donné l’ordre mais par raison de sécurité.

Il y a sur cette affaire une littérature abondante avec une multitude de détails techniques. Il est vrai que les officiers – pas seulement de la Marine – n’avaient pas de sentiments positifs envers M. Palme. Mais je pense que l’hypothèse d’un tel complot n’est pas crédible. Il faut aussi savoir que le système de commandement naval était très décentralisé. Comme commandant d’un patrouilleur, je pouvais larguer des bombes quand cela me paraissait opportun. Et je n’étais pas le seul. Un complot aurait donc nécessairement engagé beaucoup du monde.

Enfin, cette théorie n’explique pas toutes les autres intrusions. Toutes les enquêtes, même les plus prudentes (pour ne pas dire sceptiques) ont constaté qu’il y avait un certain nombre d’intrusions même si on ne pouvait pas dire de quelle nationalité. Cependant, il y a ceux qui par principe n’acceptaient pas qu’il y avait eu des intrusions. Au moins un d’eux, toutefois, avait des liens avec les services secrets d’un pays du pacte de Varsovie…

Un problème ici est celui des visons, qui se trouvent dans les archipels suédois et plus recherchés pour leur fourrure que pour leur odeur. Ils font un bruit qui, avec un certain sonar, fut perçu comme la cavitation d’un sous-marin. Pendant quelques années ce bruit fut donc utilisé comme preuve de présence d’un sous-marin. Cependant, après quelques années, un vison fut repéré en même temps qu’on avait ce bruit particulier. La marine informa immédiatement le CEMA et il y eut une conférence de presse où la marine expliqua les faits. Malheureusement, le résultat fut que beaucoup de monde croit encore que toutes – ou presque – les observations furent celles de visons. En vérité l’erreur concerne uniquement un équipement particulier et le seul espace de temps entre 1992 et 1994.

Une toute autre théorie concerne des sous-marins ouest-allemands. Ils avaient certainement une raison stratégique à reconnaître les archipels suédois afin d’être en mesure d’attaquer les communications maritimes du pacte du Varsovie. Cela fut surtout vraisemblable dans l’hypothèse où ils perdraient leurs bases très tôt en cas de guerre. Ce qui s’oppose à cette théorie est le risque politique en cas d’identification. Il faut aussi souligner que la coopération entre les Suédois et les Ouest-Allemands furent étroits. L’expérience montra aussi qu’ils évitèrent soigneusement le territoire suédois. Quand il y eut une intrusion, ils s’en excusèrent immédiatement par voie diplomatique même lorsque les Suédois ne les avaient pas repérés.

Pour nous, les intrusions ne furent pas des inventions budgétaires ou le résultat de complots politiques. Non, elles furent bien des intrusions soviétiques. C’est la réponse la plus cohérente. Toutes les observations ne visèrent évidemment pas des sous-marins mais d’autres phénomènes : des mouvements de vagues, des animaux, etc. Toute personne ayant une expérience de la mer sait que sa surface de la mer est en changement permanent.

Nous allons maintenant discuter de quelques exemples d’intrusions différentes, puis placer cela dans le contexte stratégique. Nous avons cherché à montrer l’étendue des intrusions plutôt que donner des détails. Nous allons enfin dire quelques mots sur cette question évidente : pourquoi la marine n’a pas réussi ? Comme épilogue, nous aborderons l’intrusion de l’automne 2014.

Quelques exemples

Avant de donner quelques exemples des observations d’intrusions, il faut dire quelques mots sur le milieu géographique. Une grande partie de la côte suédoise est composée d’archipels avec des milliers d’îles, îlots et rochers. Cela est surtout vrai autour de Stockholm et Karlskrona où se trouvent les bases navales les plus importantes.

Pour un Français, une base navale est probablement un port comme Brest ou Toulon. En Suède une base navale est une zone assez large dans un archipel avec des places d’ancrage, des quais plus ou moins cachés, des tunnels pour la protection des navires et toute l’infrastructure nécessaire. Il y avait aussi des fortifications importantes pour la protection de ces bases avec des champs de mines fixes et contrôlables, de l’artillerie fixe et, en cas de guerre, un grand nombre de soldats d’artillerie côtière. Mais, en temps de paix, la plus grande partie de ces zones étaient sans équipages. Des inspecteurs faisaient des visites techniques de temps en temps ; c’était tout. Il fallait une mobilisation pour mettre le dispositif en fonction.

Un assaillant éventuel aurait donc tout intérêt à faire des reconnaissances dans ce milieu et y préparer des sabotages. Un port comme Brest ou Toulon aurait été relativement facile à détruire avec une torpille nucléaire tirée à partir de la mer. Mais le système suédois aurait été plus difficile à détruire. Comme nous avons vu, le plan soviétique RYaN prévoyait des attaques importantes, et même nucléaires, contre les pays occidentaux.

Un SNLE américain ?

Le 24 octobre 1966, un matelot observa un massif de sous-marin dans un fjord profond de la côte occidentale. Un dragueur de mines réussit à obtenir le contact avec une chose immergée. Après le largage d’une bombe anti-sous-marine, il y eut un mouvement très fort sous la surface de la mer mais pas directement lié avec l’explosion. Les examens très soigneux montrèrent que la seule explication était la présence d’un sous-marin.

Une théorie suggérée dans ce cas est liée aux caractéristiques des premiers SNLE de l’U.S. Navy dont les missiles avaient un rayon d’action inférieur à 2 200 km. Pour les larguer, le SNLE était contraint de s’approcher le plus possible de ses cibles en URSS, c’est-à-dire près de la côte occidentale suédoise. Cette théorie dit aussi qu’il devait se placer sur le fond pour avoir assez de stabilité et une position assez précise. Une idée à laquelle nos amis sous-mariniers français ne croient pas.

Les Golf II

À partir de l’automne 1976, la marine soviétique déploya sept sous-marins type (OTAN) Golf II. C’étaient des SLE, sous-marins conventionnels lanceurs d’engins. Leurs missiles (SSN-5) avaient un rayon d’action de 1 600 km. Pour atteindre des cibles au nord de la Norvège : des porte-avions dans les fjords, d’equipment militaire préstockés pour l’U.S. Marine Corps, etc., les Golf II auraient dû tirer du golfe de Botnie au nord de la mer Baltique.

Les Golf II firent 2 ou 3 patrouilles de 60 jours par an.

Pour venir dans le golfe de Botnie, il est pratiquement nécessaire de traverser la mer d’Åland. Au début des années 1980, il y eut plusieurs rapports qui indiquèrent la présence possible d’un Golf dans ces parages. Une fois, en 1989, un sous-marin suédois put classifier un contact sonar comme étant celui d’un Golf II.

La mission d’U 137

Il y a plusieurs évidences contre la théorie d’une intrusion accidentelle. Le sous-marin n’avait pas envoyé de signaux de détresse, il y avait eu plusieurs changements dans le livre de bord mais le journal de manœuvre montra une approche parfaite et seul le dernier virage fut une erreur. Il faut savoir que l’URSS avait des cartes marines de la côte suédoise très détaillées et une approche vers le Gåsöfjärden n’aurait pas pu poser de problèmes graves, etc.

Sachant aujourd’hui que l’URSS avait lancé l’opération RYaN la même année, on peut en tirer une conclusion crédible quant à la mission de l’U 137. Il avait probablement comme mission d’aller chercher une équipe de spetsnaz qui avait placé des mines dans la base navale de Karlskrona. En effet, deux pêcheurs avaient observé deux jours auparavant un sous-marin probable le soir près d’une autre approche pas loin de celle qu’avait utilisé l’U 137. Ce sous-marin aurait donc pu déployer l’équipe de spetsnaz cherché par l’U 137.

Hårsfjärden

L’opération sous-marine dans le Hårsfjärden se joue en même temps que des grands exercices de l’OTAN dès septembre 1982 : REFORGER, BALTOPS en Europe plus une grande opération américaine dans l’océan Pacifique septentrionale. L’URSS et le pacte de Varsovie soupçonnèrent que ces exercices en vérité furent des préparations d’une attaque de l’OTAN contre eux. Le pacte renforça donc son état de préparation afin d’être prêt à lancer une attaque nucléaire préemptive contre l’Europe occidental conformément avec l’opération RyAN. On se prépara, entre autres, à lancer des missiles balistiques de moyenne portée contre la Suède à partir des pays baltes. Et on déploya des équipes de spetsnaz.

Le compte rendu officiel note qu’il s’agissait de six sous-marins dont trois mini-sous-marins d’un type inconnu à l’époque. Une appréciation remarquablement exacte compte tenu de ce qu’on sait aujourd’hui. Les mini-sous-marins étaient – au moins quelques-uns – équipés avec des chenilles afin de se déplacer sur le fond ; il fut constaté des traces très évidentes.

La traque de ces sous-marins fut une opération d’envergure, au moins pour les forces armées suédoises. Elle fut aussi très médiatisée car elle se déroula dans des eaux très confinées où les caméras à terre pouvaient suivre une partie des activités. J’ai ainsi pu voir aux actualités télévisées mon propre patrouilleur, dirigé par un hélicoptère, larguant des grenades !

L’opération soviétique avait, selon toute vraisemblance, comme but de se préparer à attaquer la base navale avec des mines ou torpilles nucléaires en cas de mise en œuvre de la dernière partie de l’opération RYaN, l’attaque préemptive.

Le pêcheur de « trolling »[7]

Son observation rassemble un mini-sous-marin type Triton I soviétique.

Le 29 septembre 1984, un pêcheur raconta à la police de Karlskrona un malheur terrifiant. Il avait fait une pêche type « trolling » dans le détroit qui mène à la ville, et base navale, de Karlskrona. Soudain, il entra en collision avec quelque chose. Il tomba à l’eau mais réussit à remonter à bord de sa petite embarcation. Il voyait maintenant l’objet avec lequel il était entré en collision : c’était un engin couvert d’un matériel strié comme une orange, noir ou gris et de 2 à 3 mètres de longueur avec une bulle transparente où il aperçut un homme. Cela ressemblait à un mini-sous-marin type Triton I soviétique.

Une autre observation de ce type sera faite à l’été 1990 par un couple en bateau de plaisance qui entra plus ou moins en collision avec un « objet flottant » dans un petit golfe de l’archipel de Stockholm. Ils purent très bien observer un cockpit du même type que celui d’un Triton I.

Des plongeurs de Lerskär[8]

Pendant la guerre froide, l’Artillerie côtière, une partie de la Marine, avait des lignes des mines fixes dans des détroits importants comme l’entrée des ports. Ces mines furent contrôlées d’une petite forteresse à proximité. En temps de paix, ces champs de mines n’avaient pas d’équipage – ils étaient visité de temps en temps par un inspecteur.

Le 27 septembre 1983 un inspecteur repéra trois plongeurs autour la station de mines de Lerskär. Il pourrait observer un plongeur à terre et deux dans l’eau ; ils furent en train de mesurer des distances avec une corde. Il pouvait les suivre sans être vu pendant quelques minutes. Quand ils le voyaient, ils disparaissent sans traces. Il n n’y avait pas de bateau. La description de leurs équipements était typiquement militaire et elle colle avec ce qu’on sait aujourd’hui des spetsnaz.

Il y avait aussi des autres observations de ce type autour des stations radar, des batteries d’artillerie fixe etc.

L’ornithologue

Un matin en mai 1986, un ornithologue se trouva sur l’île de Gålö, qui fait géographiquement partie de la base navale de Hårsfjärden. À l’époque, il y fut un petit port pour des vedettes lance-torpilles. Le monsieur se trouva tout près d’un panneau qui annonçait l’interdiction d’ancrer.

Le monsieur voit soudainement deux plongeurs qui arrivent du fjord. Ils se débarrassent de leurs équipements au bord de fjord et montent dans la forêt. Après quelques minutes ils étaient de retour, prennent leurs appareils et disparaissent dans l’eau. Le monsieur se sent mal à l’aise et décide de rentrer. Quand il est presque arrivé au parking, une voiture s’approche en grande vitesse et s’arrête au parking. Le conducteur entra dans la forêt mais retourna bientôt avec un grand paquet. Il disparaisse en toute vitesse. Sa voiture était une Lada achetée chez Matreco, la compagnie soviétique de vent des voitures.

Il semble assez évident que les plongeurs ont laissé le paquet dans un endroit prédéterminé pour que le monsieur avec la Lada puisse le chercher.

 

Kappelshamnsviken

Kappelshamnsviken est un golf dans le nord de la grande île de Gotland avec un port dans le fond. L’île joue un rôle stratégique important comme porte-avions « indestructible » au milieu de la mer Baltique.

La Marine posa un nouveau champ de mines fixes dans le golf au printemps 1986 où il est interdit de faire la pêche, d’ancrer et de plonger. Une année plus tard, le système ne marcha plus. Un enquête montra des dégâts importants : des files électrique cassées etc. évidemment parce qu’une véhicule en chenilles avait plusieurs fois traversé le champ de mines. Les traces de chenilles étaient égales aux ceux déjà vu, entre autre dans le Hårsfjärden. Les traces de véhicules montraient des mouvements « intelligentes » sur le fond du golf d’une longueur de plus de deux kilomètres.

Il y avait aussi des traces d’un sous-marin couché sur le fond.

Conclusion

Nous avons ici raconté quelques exemples de ce que s’est passé dans les archipels suédois pendant la guerre froide – surtout dans les années 1980. Il est difficile, pour nous en tout cas, de faire une autre interprétation de tout cela qu’il y a eu des opérations sous-marines importantes. Nous ne pouvons pas dire le nombre de ces opérations parce qu’il y a certainement des traces des opérations non repérées.

Les équipements de plongeurs, des mini-sous-marins type Triton I montrent, sans trop de hésitations, que l’auteur de ces interventions était l’Union Soviétique. Il y a aussi un grand nombre des autres évidences que nous ne pouvons pas énumérer ici. En tout cas, il est difficile à croire qu’il y a eu un complot entre des hautes-gradés suédois et les américains qui ont été active toutes ces années.

Pourquoi la Marine n’a-t-elle pas réussi ?

Il y a un nombre des raisons pourquoi la Marine n’a pas réussi. Quelques fois il s’agissait de malchance comme quand nous (en Hårsfjärden avec HMS Väktaren) étions toute prêt à attaquer quelque chose qui, analysé plus tard, était un sous-marine. Mais une intervention politique stoppa l’attaque à la dernière minute. Celui qui donna l’ordre, le CEMA ou (probablement) le premier ministre n’avait évidemment pas de connaissance de la situation exacte.

Premièrement, il est très, très difficile à chasser des sous-marins, encore plus des mini-sous-marines dans des archipels avec leurs petits fonds, rochers et bruit[9]. Les systèmes de lutte anti-sous-marine (LASM) se sont généralement conçus pour des grandes mers de grands bâtiments de guerre.

Deuxièmement, en 1972, le gouvernement a décidé que la protection des lignes des communications maritimes se fera « avec des autres moyens que des militaires ». La raison en était vraisemblablement d’éviter de faire construire des frégates. En tout état de cause, cette décision sonna le glas de la capacité LASM en Suède. Il y avait seulement un certain nombre d’hélicoptères qui gardèrent la capacité ; en premier lieu pour l’entrainement des sous-marins suédois. Eux, dans son tour avaient comme mission d’attaquer des navires de surface ennemie – surtout des bateaux amphibies.

Malgré un travail acharné à partir de 1982, il faudrait presque dix ans avant que la Marine n’avait pas une capacité de LASM. Voici une leçon important qui est valable dans tous les affaires militaires : il va vite de perdre une capacité – de la récupérer prend beaucoup de temps et d’efforts.

Il faut aussi souligner que malgré tous ces problèmes, il n’y avait jamais une vraie augmentation du budget de la Marine.

Troisièmement, le service de renseignement n’a pas très bien fonctionné. Avec un grand « réforme » interarmées en 1966, les capacités les capacités de renseignement marin furent éparpillées entre des commandements régionaux fortement dominés par l’Armée de terre. Les renseignements comme ceux du CV Thorén citait au début de cet article se trouvait dans les archives mais il y avait personne pour les consulter. Il y a des autres exemples comme de rapports de l’attaché de défense à Moscou au début des années 1970 qui montraient des images des mini-sous-marines soviétiques.

Quatrièmement, dans les années 1970 les forces armées avaient un état de préparation de plus en plus mauvais. On avait donc des grands difficultés de mener ces opérations anti-sous-marins en temps de paix tant sur le plan de commandement, tant sur le plan logistique. Mais après dix ans de ces opérations, le système marcha très bien – et la guerre froide fut finie.

Finalement, pour la Marine, c’est chasse aux sous-marins était une épreuve dure. En principe, on faisait la guerre dans une société en paix et qui souvent se moqué de la Marine et ses opérations. Le soutien des politiciens était souvent nul, beaucoup entre eux regardaient tout cela comme une anomalie dérangeant.

La mission soviétique

Quelle fut donc la mission de ces intrusions? En premier lieu, il s’agissait des préparations pour une guerre éventuelle ; on se renseignait et on s’entrainé. On cachait du matériel utile pour une attaque. Dans les années 1980, l’affaire fut encore plus grave avec le plan RyAN. Il y a beaucoup qui parle pour que l’URSS mettait des mines nucléaires dans des lieux stratégiques comme près des tunnels de la grande base souterrain de Muskö. Ces mines auraient pu être mis en œuvre par des signaux radio ou par des équipes spetsnaz cachés dans des lieux importants.

Et aujourd’hui

La raison immédiate d’écrire cet article est évidemment le bruit dans la presse fait par des intrusions sous-marines cet automne. On sait, en effet, qu’au moins un sous-marin – probablement plusieurs tant conventionnels tant mini-sous-marins – ont fait une grande opération dans des parages autour de Stockholm.

L’opération RyAN est, on l’espère, seulement une mauvaise mémoire. Mais, la Suède se trouve toujours dans le même endroit comme pendant la guerre froide. Sa territoire est aujourd’hui très important stratégique surtout dans le cas où l’OTAN a besoin de renforcer les pays baltes. Non, la Russie ne va certainement pas faire une invasion de la Suède mais il est facile de s’imaginer une volonté russe de faire intimider la Suède – pour exemple afin de la forcer de déclarer « une neutralité » en cas de troubles dans les pays baltes. Son comportement général sur et dessus la mer Baltique fait vraisemblable une telle politique – il est de plus en plus agressive.

Les « réformes » de la défense suédois selon les idées de « transformation » vers une force d’intervention expéditionnaire a, en effet, fait que la Marine a perdu toute ce qu’on avait appris dans les années 1980. La capacité LASM est même plus réduite que en 1980 –il n’y a pas un seul hélicoptère LASM par exemple.

***

Dans cet article nous avons essayé de donner un aperçu des intrusions sous-marins pendant la guerre froide et surtout dans les années 1980. Il faut souligner qu’il y avait, à l’époque, bien d’autres incidents qui montraient un intérêt pour le pacte de Varsovie de se préparer pour une attaque contre la Suède. Mais cela est un autre histoire.

Il faut savoir qu’il y a des autres théories : il n’y avait pas des intrusions du tout sauf un – l’U 137 – qui était un accident. Il y a aussi des théories de plus en plus – selon nous – invraisemblable des complots.

Il faut aussi savoir que cette question est toujours un problème politique lié avec l’ancien premier ministre Olof Palme, assasiné en 1986, dont le tueur n’est jamais vraiement identifié. Il y a un certain nombre de ses anciens collaborateurs qui n’ont jamais pardonné la Marine pour le problème des intrusions qui a, on croit, stoppé Palme de jouer un rôle plus grand pour la paix pendant la guerre froide.

[1] La désignation soviétique officielle était S 363.

[2] Une description plus approfondie se trouve dans Lars Wedin, « Le rôle de l’armée de l’air dans la stratégie suédoise pendant la guerre froide », Stratégique No 102, 2013.

 

[3] Voir par exemple Robert Dalsjö. Life-Line Lost : the rise and fall of ‘neutral’ Sweden’s secret reserve option of wartime help from the west. Santérus Academic Press Sweden. Stockholm 2006.

[4] Le pire c’était le colonel Stig Wenneström, général de GRU. Il travailla pour le GRU entre 1948 et 1963 et eut des positions clés au sein du ministère de la défense ainsi qu’auprès des ambassades de Washington et de Moscou.

[5] Le terme suédois est ÖB pour Överbefälhavare=Commandant-en-Chef.

[6] hhttp://nsarchive.wordpress.com/2014/01/29/stasi-documents-provide-operational-details-on-operation-ryan-the-soviet-plan-to-predict-and-preempt-a-western-nuclear-strike-show-uneasiness-over-degree-of-clear-headedness-about-the-entire-ryan/ Accédé le 5 janvier 2015.

 

[7] Une méthode où on remorque BETET avec une petite embarcation dans une vitesse très réduite et donc silencieuse.

[8] Petit ilot dans l’archipel septentrional de Stockholm

[9] Nous développons ce thème dans Lars Wedin, Stratégies maritimes pour le XXIe siècle. L’apport de l’amiral Castex, Paris, Nuvis, 2015.