La surprise stratégique

Voici une nouvelle version!

 

Introduction

Dans la première version sonore du film « Les trois mousquetaires », il y a une scène où un conseiller passe sa tête dans le bureau du Cardinal Richelieu et lui dit : « Votre éminence, savez-vous que la guerre de trente ans vient de commencer ? »[1]

Cela, le Cardinal ne pouvait pas le savoir – ce n’est qu’a posteriori qu’on a su que la guerre, qui avait commencé 1618 à Prague, serait si longue. Il a fallu encore plus de temps pour que les conséquences politiques ne deviennent évidentes. Une citation de Churchill illustre bien le cours des choses : « Ne pensez jamais, jamais, jamais, qu’une guerre peut être facile et sans surprise… »[2]

Il s’agit ici d’une surprise stratégique lente, qui tient aux difficultés qu’il y a à comprendre les conséquences du cours des événements actuels. Imaginez un livre blanc sur la défense de la Suède qui daterait du début des années 1620, à l’époque le pays était l’allié de la France. Les responsables n’auraient évidemment pas pu envisager que le pays, quelques années plus tard, mènerait une guerre longue et couronnée de succès au terme de laquelle il se poserait en grande puissance européenne.

Le cheval de Troie est un autre exemple de surprise stratégique bien planifiée et couronnée de succès, qui, d’un coup, décida de l’issue de la guerre. Un aspect important de cet événement est le fait que les Grecs prirent un risque important pour atteindre l’objectif stratégique. Si les Troyens avaient suivi les mises en gardes du prêtre Laocoon en détruisant le cheval, les forces grecques auraient probablement été massacrées jusqu’au dernier homme.

La crise financière actuelle constitue un troisième exemple. Après coup, il est possible d’identifier les signes d’une crise qui s’approche. Malgré cela, il a fallu beaucoup de temps avant que des mesures palliatives ne se soient prises.

L’avenir reste difficile à prédire ; la liste des événements imprévus dans l’histoire est longue. Citons entre autres l’invasion soviétique de l’Afghanistan, la chute du Shah, la chute du mur, l’invasion irakienne du Koweït, le génocide au Rwanda, la bombe atomique de l’Inde et l’attaque du 11 septembre 2001.[3]

Les surprises, quelles qu’elles soient, sont un élément éternellement récurrent dans le développement politico-stratégique. Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale souligne également les risques de « surprises et ruptures stratégiques ».[4]

Il conviendrait donc de se pencher sur ce phénomène. La première chose à faire est de le cerner. Comme nous l’avons vu ci-dessus, il y a plusieurs formes de surprise stratégique. La deuxième question concerne la manière dont la surprise est créée et comment la prévenir. La troisième question porte sur les moyens d’atténuer les conséquences de la surprise.

Une surprise stratégique, qu’est-ce que c’est ?

Bref historique

La surprise a, on n’en s’étonnera pas, de tous temps fait l’objet d’études militaires, même si la littérature est moins vaste qu’on ne pourrait le croire.

Les anciens parlaient de ruses de guerre ou de stratagèmes. Polyen, un auteur macédonien du deuxième siècle de notre ère, est l’auteur d’un ouvrage du même titre consacré aux empereurs Marc-Aurèle et Lucius Verus. Un autre livre, Strategemata, a été écrit par Frontin (40-103 après J-C.). Cet ouvrage décrit toutes les ruses de guerre connues à l’époque. Ces deux livres ont été traduits à la Renaissance, et ont contribué à la création d’un art de guerre « moderne » qui se distinguait de la conception médiévale de la guerre selon laquelle il s’agissait d’un duel entre égaux. Les auteurs de l’antiquité, en revanche, ont souligné l’importance d’utiliser l’intelligence pour rendre la guerre inégale – ou asymétrique si l’on veut – à son propre avantage.[5]

Dans son livre sur l’art de guerre, Machiavel discute de l’utilisation des ruses de guerre. Il souligne notamment l’aspect moral et le risque « qu’une troupe s’épouvante » lorsqu’elle est exposée à des choses nouvelles et imprévues.[6] Comme nous le verrons, les conséquences psychologiques de la surprise sont très importantes.

Ni Jomini, ni Clausewitz ne consacrent beaucoup d’intérêt au phénomène de surprise. Le premier constate qu’à son époque, il est de plus en plus difficile d’atteindre un effet de surprise. Cependant, il faut toujours essayer et, en même temps, éviter d’être surpris. Il souligne la surprise dans le temps – « au moment où elle [une armée] ne s’attend à rien de pareil [attaque] ».[7] Clausewitz, quant à lui, donne la définition suivante: « La surprise devient par conséquent le moyen d’acquérir la supériorité… Lorsqu’elle réussit, elle sème la confusion et brise le courage de l’ennemi… » Il souligne aussi le fait que plus on est dans la tactique, plus la surprise est réalisable, alors que plus on s’approche de la politique, plus elle est difficile à mettre en œuvre.[8]

Dans son ouvrage Études de combat de 1870, Ardant du Picq révolutionne l’idée de la morale de combat. Il constate que, quand les deux armées adverses sont à égalité de forces, la surprise est le seul moyen de mettre la chance de son côté. « L’adversaire surpris ne se défend pas, il cherche à fuir. »[9] Le maréchal Foch souligna aussi la surprise comme moyen de casser la volonté de l’ennemi. Sa recette est une attaque forte, rapide et inattendue[10]. Il ne s’agit donc point de ruses.[11]

Dans son monumental Théories Stratégiques Castex note que : « La surprise confère des avantages considérables et doit être recherchée ». « La surprise est essentielle pour la réussite de la manouvre et elle exige surtout le secret mais aussi, entre autres facteurs, la vitesse et le mouvement. » [12]

Chez Liddell Hart, l’idée même de maintenir l’adversaire dans l’incertitude quant à nos intentions est centrale. Il note que la surprise relève de la psychologie. Le mouvement et la surprise se complètent. Ensemble, ils concourent à la réduction du vouloir de l’adversaire. SunTse exprime d’ailleurs clairement cette idée : « Prévoyez tout, disposez tout, et fondez sur l’ennemi lorsqu’il vous croit encore à cent lieus d’éloignement : dans ce cas je vous annonce la victoire » car « Un ennemi surpris est à demi vaincu ».[13]

Fuller aussi souligne l’importance de la rapidité comme moyen de paralyser l’adversaire. Sa description de la Blitzkrieg (Guerre éclair) par Guderian mérite d’être citée en version originale :

« It was to employ mobility as a psychological weapon: not to kill but to move; not to move to kill but to move to terrify, to bewilder, to perplex, to cause consternation, doubt and confusion in the rear of the enemy, which rumour would magnify until panic became monstrous. In short, its aims were to paralyse not only the enemy’s command but also his government, and paralysation would be in direct proportion to velocity. »[14]

 

Les exemples de surprise donnés ci-dessus se jouent en premier lieu au niveau tactique et/ou opérationnel selon nos définitions contemporaines. Cependant, la surprise au niveau stratégique est abordée dans la littérature moderne. Dans le dictionnaire de Chaliand et Blin on trouve la définition suivante : « La surprise stratégique peut servir à achever un adversaire, moralement et physiquement, et mettre fin à un conflit, ou bien à renverser l’équilibre moral de la guerre, sans nécessairement accomplir une victoire tactique (offensive du Têt, 1968). »[15]

 

Aujourd’hui, quand nous parlons des stratégies intégrales et des concepts de sécurité globale, il ne suffit pas de se limiter à la surprise dans le domaine de la stratégie militaire. Le dictionnaire stratégique de Géré donne une définition globale qui est également valable au sens large : « État physique et psychologique résultant d’un événement soudain et inattendu. »[16] Une autre définition valable est la suivante, qui insiste sur les conséquences : « La surprise stratégique est un événement, peu ou mal anticipé et à très fort impact, qui ébranle les fondements d’un État. »[17] Cela veut dire que cet État soit contraint de changer de stratégie ou encore de politique.

 

Pour conclure, la notion de surprise a une histoire longue. Cependant, ce n’est qu’à l’époque contemporaine que l’on a commencé à discuter de cette idée au niveau stratégique. Il s’agit ici d’une tendance générale ; avec le temps, le centre de gravité de la pensée militaire se déplace vers le haut, vers le niveau politico-stratégique. La surprise est fortement liée à l’asymétrie et à la volonté de créer un avantage psychologique. Cependant, comme l’indique la dernière définition ci-dessus, une surprise n’est pas nécessairement le produit d’une action délibérée. Elle peut aussi être le résultat d’un accident ou d’une méprise.

Surprendre et être surpris

On peut utiliser l’expression « surprise stratégique » dans le sens de « surprendre » et d’« être surpris ». En toute logique, l’expression offensive de « surprendre » et celle, défensive, d’« être surpris » devraient être une paire de contraires symétriques. Pourtant, la chose est un peu plus compliquée. Il est beaucoup plus fréquent que quelqu’un soit surpris que de surprendre quelqu’un intentionnellement. Il convient donc de discuter de ce problème.

Surprendre est un mode d’action dans le cadre d’une stratégie ayant pour but de créer des avantages face à un adversaire qui, on l’espère, sera surpris. Selon le général Poirier, il y a deux modes de stratégie opérationnelle : emploi réel et emploi virtuel. Dans le premier cas, le but est de « réduire, voire annihiler les capacités de réaction et la liberté d’action de l’Autre… ».[18] La surprise stratégique faisant partie d’une telle stratégie vise donc à créer un avantage majeur dans une guerre actuelle ou potentielle. Un exemple en est l’attaque japonaise contre Pearl Harbor en 1941.

Dans une stratégie virtuelle, au contraire, on « se propose de peser sur la volonté adversaire ».[19] La surprise stratégique dans le cadre d’une telle stratégie vise donc à créer un avantage majeur sur le plan politique et psychologique. Un exemple en est le lancement du premier « Spoutnik » soviétique en 1957, qui démontra l’avancesoviétique dans les domaines de la technologie spatiale et des missiles. C’était du moins ce que les soviétiques réussirent à faire croire aux États-Unis, et c’était bien cela qui importait.

Cependant, ces deux exemples montrent aussi que la surprise est, presque toujours, liée à un risque. C’est surtout vrai au niveau stratégique. Dans les deux cas, la surprise réussit à court terme mais pas dans la durée. Au contraire, dans les deux cas, la réaction des États-Unis permit de retourner la situation en leur faveur. Luttwak parle ici du paradoxe stratégique : une mauvaise route peut être la meilleure justement parce que l’adversaire n’envisage pas son utilisation. Cela signifie également que la surprise a un prix ; dans ce cas, la conséquence de l’utilisation de la mauvaise route sera peut-être une montée en puissance plus lente. Néanmoins, on suppose que cet inconvénient sera compensé par les effets psychologiques de la surprise.[20]

En effet, le risque est l’essence même de la surprise ; on fait quelque chose d’inattendu et/ou d’apparemment illogique. En conséquence, une tentative de surprise qui échoue peut devenir très dangereuse. Clausewitz en a averti ses lecteurs : « L’effet de surprise ne peut venir que de celui qui dicte sa loi à l’autre ; et la loi est dictée par celui qui agit de la bonne manière. Si nous surprenons l’adversaire par une démarche erronée, nous récolterons peut-être, au lieu d’un succès, de durs revers ;…. »[21]

Pour surprendre, il faut une liberté d’action, alors même que l’effet recherché est justement de limiter cette liberté chez l’Autre.

La stratégie suédoise pendant la guerre froide illustre bien ce phénomène. La planification stratégique était en principe basée sur deux scenarios différents : l’attaque massive et l’attaque par surprise. La différence entre les deux était que dans le premier cas, l’assaillant (toujours l’Union Soviétique) miserait sur des préparations plus longues où il s’efforcerait d’affaiblir sérieusement la défense et, en même temps, de concentrer ses propres forces. Il deviendrait plus fort, mais plus prévisible. Dans l’autre cas, l’attaque surprise, l’assaillant miserait sur la vitesse et la surprise en acceptant que ses forces soient plus faibles – une concentration des forces aurait donné à la Suède un avertissement et donc la possibilité de renforcer sa défense. [22] La différence entre ces deux possibilités illustre bien la thèse de Luttwak selon laquelle la surprise a un prix. Les risques sont évidemment plus grands au niveau stratégique – c’est probablement la raison pour laquelle la surprise comme élément d’une stratégie offensive et réelle est relativement peu courant.

Si l’action offensive « de surprendre » est un phénomène assez insolite, son contraire – la défensive « d’être surpris » – est beaucoup plus fréquent. Cela tient à la tendance des gouvernements, des commandants supérieurs et autres d’être surpris aussi par des faits qui ne se sont pas produits dans le but de surprendre. La chute de Mur en est un exemple : le gouvernement est-allemand n’avait nullement prévu de faire tomber le Mur. Mais il est bel et bien tombé et tous les chefs d’Etat, tous les commentateurs stratégiques ont été surpris (même si certains ont a posteriori affirmé le contraire).

Qu’est-ce qui caractérise une surprise stratégique ?

Le sentiment de surprise est caractérisé par quatre éléments. Tout d’abord, la table du jeu stratégique est bouleversée ; la surprise a le plus souvent des effets géopolitiques. Deuxièmement, la surprise est avant tout une sensation mentale, la perception même de la surprise est très importante. Celui qui constaterait calmement « voilà qui était inattendu ! » ne serait sans doute pas vraiment surpris. Troisièmement, la surprise provoque les réactions les plus diverses – de la paralysie à l’hyperactivité. Enfin, en conséquence de ces effets, la surprise cause souvent une crise.

Ici, il convient de distinguer deux cas. Dans le premier, le défendent est trompé par l’action stratégique surprenante de son adversaire. Pour illustrer cette configuration, citons l’exemple de la surprise du gouvernement israélien quand il découvrit l’attaque égyptienne à travers le canal de Suez en octobre 1973 ; c’était exactement ce que les Egyptiens avaient envisagé.[23]

Cela dit, les Israéliens ne furent pas les seuls à être surpris. Il en fut de même pour l’Union Soviétique et les Etats-Unis, ce qui eu pour conséquence de faire planer sur le monde la menace d’une guerre nucléaire. Ce n’était certainement pas l’objectif de Sadate, même s’il espérait sans doute que l’attaque surprise lui laisserait une certaine marge de manœuvre – la manœuvre extérieure de Beaufre. Dans ce cas, on peut parler de surprise non-intentionnelle.

La surprise non-intentionnelle est très courante ; la guerre en Géorgie en 2008 nous en fournit un exemple. La guerre n’était pas vraiment surprenante. La Géorgie savait que la Russie était en train de renforcer ses troupes, probablement en vue d’une attaque, et elle a donc décidé d’agir tant que c’était encore possible. Pourtant, de nombreux gouvernements ont été surpris ; le gouvernement suédois par exemple en a été tellement surpris qu’il a modifié sa stratégie militaire de manière à ce qu’elle contienne également un (faible) volet de défense territoriale. Le fait que la Russie puisse, à un moment donné, utiliser la force pour défendre ses intérêts n’aurait pourtant pas dû surprendre !

Un autre genre de surprise est lié aux événements qui sont difficilement contrôlables et qui peuvent conduire à des ruptures. Dans ces cas-là, il s’agit d’éléments plus ou moins disparates qui concourent à la création d’une situation nouvelle où les actions auront des conséquences surprenantes. « Les ruptures déclenchent des développements politiques, qui sont susceptibles à mener dans des directions variées en fonction des choix d’actions des acteurs concernés. »[24]

Enfin, il y a des surprises stratégiques qui surviennent en conséquence de catastrophes naturelles, de pandémies et autres. Il faut noter qu’un tel événement peut servir de catalyseur et entraîner des développements tout à fait nouveaux dans le champs politique. S’il est, en principe, possible d’éviter les autres formes de surprise, tout porte à croire que ce n’est pas le cas pour cette dernière forme.

Dans le domaine de la stratégie militaire, on peut distinguer quatre variantes de surprise.[25] Premièrement, nous avons la surprise technologique due à la toute première utilisation d’une nouvelle arme. Les attaques nucléaires contre le Japon en sont de bons exemples, qui ont eu des conséquences stratégiques directes – en l’occurrence la capitulation du Japon – ainsi que des conséquences indirectes et non-intentionnellegées, à savoir l’équilibre de la terreur de la guerre froide.

Deuxièmement, il y a la surprise géographique : l’attaque survient là où le défenseur ne l’attend pas. L’exemple classique est l’attaque allemande contre la France par les Ardennes en 1940.

La troisième variante est liée au temps : l’attaque survient au moment où le défenseur ne s’y attend pas. L’opération allemande dite Barbarossa en 1941 contre l’Union Soviétique en est un bon exemple.

Enfin, il y a la surprise relative à la doctrine – une nouvelle manière d’utiliser ses forces. La guerre de manœuvre, selon notre nomenclature contemporaine, de Napoléon, où il s’efforça d’infliger des pertes décisives en est une illustration. La guerre sous-marine non-limitée pendant la Grande Guerre en est une autre. La guerre de guérilla au Vietnam en est une troisième – même si les Américains auraient dû y être préparés compte tenu des expériences françaises.

Des formes de la surprise – résumé

Il y a deux formes supérieures de surprise stratégique :

  • L’offensive – « surprendre ».
  • La défensive – « être surpris ».

On peut distinguer deux groupes de surprise offensive

  • Réelle – la surprise vise un avantage militaire décisif dans la guerre ; souvent au moment du déclenchement des hostilités. L’objectif est de vaincre.
  • Virtuelle – la surprise vise des avantages politiques et psychologiques. L’objectif est de convaincre.

La surprise défensive est composée de quatre groupes :

  • Conséquence directe d’une surprise offensive – la victime est trompée.
  • Surprise non-intentionnelle comme effet secondaire.
  • Des développements incontrôlables menant aux ruptures.
  • Les catastrophes naturelles, les pandémies etc.

Pourquoi la surprise survient-elle?

Une raison évidente, ce sont les défaillances des services de renseignement. Plusieurs raisons expliquent une telle situation, par exemple un personnel mal qualifié ou trop peu nombreux. L’histoire montre cependant que même des services de renseignement très puissants, qui disposent de tous les moyens imaginables, ne comprennent pas toujours ce qui se trame. Cela s’explique par la difficulté qu’il y a à faire le tri dans la masse d’informations et à repérer les signaux importants. En outre, les problèmes administratifs et les guerres d’influence internes sont d’autres éléments d’explication. Avant le 11 septembre 2001, le FBI avait des renseignements concernant l’étrange entraînement au pilotage auquel se livraient un certain nombre de musulmans étrangers. Les services de renseignement avaient également reçu de leurs collègues français un avertissement concernant une attaque prochaine. Pourtant, l’administration ne fut pas en mesure de relier ces deux pistes; l’attaque surprise fut un fait.

Huit ans et beaucoup de dollars plus tard, la tentative du terroriste nigérien montre bien les difficultés qu’il y a à se protéger contre une menace, fût-elle connue et prioritaire. Il faut admettre que les services de renseignement ne peuvent pas tout prévoir.[26]

À ce propos, le chercheur américain Michael Handel a proposé la notion de the theory of surprise (la théorie de surprise). Il écrit que dans la plupart des cas de surprise stratégique, les officiers du renseignement avaient toutes les informations nécessaires pour comprendre ce qui allait arriver. Cependant, souvent, le problème n’est pas un manque d’information mais le fait qu’on ne les comprend pas et qu’on ne perçoit pas les signaux alarmant dans le bruit généralisé. Puis il y a les facteurs tels que la lenteur au lieu de l’ouverture d’esprit, l’illusion au lieu du réalisme.[27]

Un autre problème courant est ce qu’on appelle « l’image miroir»[28]. Un acteur croit que l’Autre va suivre la même logique comme lui. L’opération dite Operation Iraqi Freedom (OIF) en est un bon exemple. L’administration américaine pensait que les Irakiens libérés réussiraient tous seuls leur transition vers une société paisible, démocratique et quasiment occidentale. La doctrine américaine avait établi que la supériorité technologique permettrait de conclure l’opération après une action brève et relativement limitée. Cela n’a fonctionné que tant que l’adversaire a accepté que la guerre soit menée aux conditions américaines.

Une variante de ce scénario, ce sont les blocages psychologiques et/ou philosophiques. Avant l’attaque japonaise à Pearl Harbor 1941, l’état d’alerte américain était faible. En conséquence, l’administration américaine fut prise au dépourvu. La raison principale, c’était qu’on ne pouvait pas imaginer que les Japonais seraient en mesure de planifier et mettre en œuvre une telle attaque. Le principal atout des Japonais était l’ignorance américaine quant à la capacité militaire japonaise et une arrogance par rapport à tout ce qui était japonais.[29]

Un autre phénomène assez courant est l’auto-dissuasion. Dans ce cas-là, le défenseur perçoit souvent plus ou moins ce qui est en train de se produire mais il n’ose pas agir, souvent au motif que l’on ne veut pas faire de provocation. Un exemple typique, c’est l’occupation allemande de la Rhénanie démilitarisée en 1936.

La Rhénanie était d’un intérêt vital pour la France, puisqu’elle servait de zone-tampon contre l’Allemagne. Malgré cela, on ne fit rien. L’opinion publique était complètement opposée à toute action susceptible de conduire à une guerre, le ministère de la Guerre eut peur de provoquer les Allemands et l’armée surestima largement la capacité allemande. En réalité, les Allemands avaient envisagé un retrait immédiat en cas de contre-mesures françaises. Avec la Rhénanie occupée, la France perdait toute liberté d’action qui lui aurait peut-être permis d’aider la Tchécoslovaquie en 1938. La peur de la guerre et la peur de provoquer l’ennemi rendirent finalement la guerre inévitable. [30]

Le phénomène dit de l’autruche est une autre raison fréquente de la surprise. Il arrive souvent que le commandement refuse de comprendre que les doctrines courantes ne sont plus valables. La glorification de l’offensive avant la Grande Guerre – l’offensive à outrance en France – en est un bon exemple. La Guerre des Boers et la Guerre russo-japonaise avaient pourtant démontré que les nouvelles armes – en particulier la mitrailleuse et le fer barbelé – rendaient la défensive plus forte que l’offensive. Malgré cela, les armées des belligérants entrèrent en guerre avec des doctrines très offensives.[31]

La France en 1940 est un autre exemple de la mentalité de l’autruche. Le commandement français n’était pas préparé à la confrontation avec la doctrine allemande de la Blietzkrieg (guerre éclair). Et ce malgré le fait que Charles de Gaulle, entre autres, se soit fait l’avocat de cette forme de guerre dans son ouvrage « Vers l’armée de métier ».[32]

La mentalité de l’autruche s’est également manifestée lors de la guerre en Géorgie. Personne n’aurait du être surpris par le fait que la Russie s’était préparée à utiliser la force militaire dans une zone qu’elle avait depuis longtemps défini comme sa zone d’intérêt. Or, une telle compréhension des faits n’avait pas sa place auprès des gouvernements et des cercles militaires européens.

La révolution française, la chute du mur et le 11 septembre sont des événements qui se présentent comme des ruptures. L’événement même est assez bref mais dans chacun des cas, il est précédé d’un développement dont on n’a pas compris la signification. Ensuite, après l’événement, il a fallu beaucoup de temps avant que la situation ne soit stabilisée – et alors, l’échiquier stratégique est fondamentalement modifié.

Tous ces exemples ont en commun le fait que l’événement aurait pu être prévu et la surprise évitée. Selon les cas, cela aurait été plus ou moins facile ou difficile. Or, avec du recul, on peut en général discerner les facteurs qui ont conduit à la surprise. Les catastrophes naturelles font évidemment exception.

Peut-on se protéger contre la surprise ?

La réponse simple, c’est qu’il faut de bons services de renseignement, soutenus par une bonne organisation de recherche de la défense et de la prospectivité. L’étude des scénarios futuristes et des jeux de guerre peuvent rendre l’avenir moins déroutant. Il convient cependant de noter que les jeux de guerre ne sont pas toujours fiables, comme le montre l’exemple suivant. En 1969, pendant la guerre du Vietnam, le Pentagon remplit son meilleur ordinateur de toutes les données disponibles sur les Américains et sur les Vietnamiens puis posa la question : « Quand allons-nous gagner la guerre? » Sans la moindre hésitation, l’ordinateur répondit: « Vous l’aviez gagnée en 1964. »[33]

Il serait dangereux de croire que de bons services de renseignement pourraient empêcher des surprises stratégiques. En stratégie, il est presque impossible de prendre en compte tous les paramètres, la connaissance de la situation ne sera en effet jamais absolue. On ne saura jamais tout sur son adversaire, on ne peut que se contenter de faire une appréciation de ses modes d’actions probables. Même avec des renseignements en apparence très bons, on ne peut pas être sûr ; les espions doubles ne sont pas rares dans l’histoire. Enfin, même les meilleurs services de renseignement sont sujets à des phénomènes comme les frictions et le hasard. L’attaque terroriste le 11 septembre 2001 en est un exemple parfait.

Dans la plupart des cas relatés ci-dessus, le problème ne tenait pas aux services de renseignement mais à la difficulté pour le décideur de comprendre ce qui allait se produire et, plus difficile encore, d’agir à temps. Avec du recul, il est souvent facile de repérer les développements qui ont conduit à la surprise ainsi que de comprendre ce qu’on aurait dû faire. À ce propos, rappelons que la stratégie, quand elle existe, est formulée dans le présent. Or, elle sera appliquée dans le futur. Entre ces deux moments, il y a toujours un laps de temps plus ou moins long où beaucoup de choses peuvent se produire. Cependant, il n’est pas toujours facile de voir, ou d’accepter, que certains changements sont survenus qui font que la stratégie choisie n’est plus valable. L’immobilisme en est une raison courante, on ne veut tout simplement pas changer ses habitudes.

Un cas particulièrement épineux est « la surprise lente » dont nous avons parlé plus haut. Le colonel français Galula, aujourd’hui gourou des armées américains en matière de contre-insurrection, a bien décrit le problème de prise de décision qui se pose à un gouvernement menacé d’insurrection : « Le problème essentiel pour le loyaliste vient du fait que le danger réel de l’insurrection apparaîtra toujours bien faible au regard des exigences qu’impose une riposte adéquate dès ce stade. Le danger latent est immense, mais comment le faire sentir à l’opinion sur la base de faits tangibles et objectifs ? Comment justifier les efforts et sacrifices nécessaires pour étouffer l’insurrection naissante ? L’insurgé, s’il maîtrise son rôle, compte précisément sur cette confusion et l’entretient en s’assurant que la transition de la paix à la guerre sera réellement très progressive. »[34]

La crise économique est un bon parallèle.[35] Dès 1999, un article fut publié qui tirait la sonnette d’alerte face aux crédits hypothécaires américains, les subprimes, et le risque que l’Etat se voit contraint de sauver les établissements financiers impliqués. Avec le temps, il y a eu de plus en plus d’avertissements. Un discours prononcé au Congrès américain en 2005 contenait entre autres les paroles suivantes : « J’espère que mes collègues feront cause commune avec moi pour protéger les contribuables de l’obligation de racheter les parts de Fannie Mae et Freddie Mac [les établissements financiers les plus impliqués dans les subprimes] quand la bulle immobilière s’effondrera ». La Maison Blanche prit conscience du danger mais même des actions relativement inoffensives ne reçurent aucun soutien politique. Un contre-argument consistait à dire qu’il n’y avait pas de danger, un autre que ces crédits étaient nécessaires et un troisième que les mesures proposées par Maison Blanche avaient d’autres motivations.

Les premiers signes évidents d’une crise financière survinrent en 2007. La crise commença vraiment en mai 2008 ; en septembre elle était totalement éclose mais les premières contre-mesures ne furent prises qu’en octobre.[36]

On peut dire que la crise financière est un savant mélange de la mentalité de l’autruche et de rupture.

À partir du raisonnement de Galula et de la crise financière, on peut tirer la conclusion suivante : Pour que l’on se décide à gérer une crise exigeant des mesures désagréables, celle-ci doit remplir au moins un des deux critères suivant. Elle doit avoir dépassé un seuil de douleur et/ou se développer très rapidement. En effet, la politique et l’opinion publique s’adaptent progressivement à une situation qui se dégrade jusqu’à ce qu’un certain seuil de douleur soit franchi ou jusqu’à ce que le développement soit si violent qu’on ne puisse plus l’ignorer.

La sombre conclusion du raisonnement ci-dessus consiste à dire qu’il y aura toujours des surprises et que l’on tardera toujours trop à prendre les contre-mesures nécessaires.

Comment se protéger des conséquences de la surprise ?

Ici, nous nous limiterons au domaine de la stratégie militaire. Même si de bons services de renseignement ne sont pas en mesure de contrecarrer la surprise, ils peuvent contribuer à fournir rapidement une explication de ce qui se passe. Une recherche large est également très importante parce que lorsque la crise surviendra, le gouvernement aura promptement besoin d’analyses et de synthèses. Or, pour être en mesure de fournir ces éléments, il faut bâtir des connaissances à long terme : « Mais chaque minute de synthèse exige des années d’analyse. »[37] Le livre blanc sur la défense et la sécurité exprime cette idée importante de la façon suivante : « Dans un environnement international marqué par de grandes incertitudes et des préavis qui peuvent être très courts, les moyens de la connaissance et de l’anticipation constituent la première ligne de défense d’un pays. »[38]

La hiérarchie militaire doit être en mesure d’agir vigoureusement afin de reprendre l’initiative. Cela exige une aptitude et une mentalité qui facilite une adaptation rapide. C’est là l’exigence la plus importante, qui devrait être l’état normal des choses dans toute organisation militaire. L’histoire montre cependant que cela n’a pas toujours été le cas. L’exigence d’adaptation est également soulignée dans le livre blanc.[39]

La stratégie militaire doit aussi être conçue pour faire face « tous azimuts » – l’expression doit être comprise au sens large et non seulement géographique. En conséquence, la défense a besoin d’une large palette de capacités – humaines et matérielles. Une capacité perdue implique une liberté d’action perdue.

La surprise stratégique conduit le plus souvent à une crise. Or, la littérature est abondante en la matière et il n’est donc pas nécessaire d’aborder ici ce problème extrêmement vaste.

Conclusion

La surprise stratégique est une notion que l’on retrouve souvent dans la littérature. Notre analyse montre qu’il s’agit d’une idée assez large et qu’il n’est pas si facile que cela de la saisir. Cependant, dans une discussion sérieuse, il faut être en mesure de faire la différence entre les diverses formes de la surprise. Tout d’abord, il est nécessaire de distinguer l’offensive « surprendre » de la défensive « être surpris » ; cette dernière étant beaucoup plus fréquente que la première.

On peut utiliser la surprise dans une stratégie réelle qui vise à vaincre dans une guerre ou dans une stratégie virtuelle qui vise à convaincre – à acquérir des avantages politiques et psychologiques.

L’expérience de la surprise subie peut être la conséquence d’une ruse ou la conséquence d’autres phénomènes : soit la conséquence de l’action surprenante d’un acteur soit d’un développement incontrôlable. Ici, il convient de noter que les catastrophes naturelles peuvent elles aussi conduire à des surprises stratégiques.

On peut aussi identifier un certain nombre des raisons pour lesquelles les gouvernements et les commandements militaires sont souvent surpris. Des services de renseignement non adéquats et la friction administrative en sont deux causes. Il arrive aussi très souvent que les décideurs ne veuillent pas comprendre ce qui est en train de se passer et les conséquences possibles.

La conclusion de tout cela est qu’un gouvernement et un commandement militaire doivent s’organiser et s’entraîner pour être en mesure de faire face à des situations où ils rencontreront des surprises sérieuses : « L’avenir, on n’a pas à le prévoir, mais à le rendre possible. »[40]

 

 

 

 

[1] Christopher Coker, Ethics and War in the 21st Century, (Oxon: Routledge 2008). P. 80.

[2] Citerat i Vincent Desportes, La guerre probable, (Paris : Economica 2007). Pp. 91.

[3] Xavier Raufer, “Monde chaotique, menaces stratégiques », Défense nationale et sécurité collective, Décembre 2008. P. 27.

[4] Défense et Sécurité nationale. Le Livre Blanc. Med förord av Nicolas Sarkozy. Odile Jacob. Paris 2008. P. 39.

[5] Bruno Colson. L’art de la guerre de Machiavel à Clausewitz dans les collections de la bibliothèque universitaire Moretus Plantin. (Namur: Bibliothèque Universitaire Moretus Plantin 1999). Pp. 23 – 28.

[6] Nicolas Machiavel. L’art de la guerre. (Paris : Bibliotèque Berger – Lévrault 1980) [1520]). Pp. 138, 215.

[7] Antoine Henri Jomini. Précis de l’art de la guerre ou Nouvau Tableau analythique des principales combinaisions de la stratégie et de la politique militaire. (Paris : Éditions Champs Libre 1977 [1855]). P. 229.

[8] Carl von Clausewitz, De la guerre. Traduit par Denise Nivelle. Préface de Camille Rougeron. Introduction de Pierre Naville, (Paris : Editions de Minuit, 1955 [1831]). Pp 207-208.

[9] Cité dans François Géré. Dictionnaire de la pensée stratégique. (Paris : Larousse 2000). P. 260.

[10] Marshall-Cornwall, Foch as military commander, p. 29.

[11] F [Ferdinand] Foch. Des principes de la guerre. Conférences faites en 1900 à l’École Supérieure de Guerre. (Nancy-Paris-Strasbourg: Berger-Levrault1919). Pp 4.

[12] Amiral [Raoul] Castex, Théories stratégiques. Tome II. (Paris : Institut de Stratégie Comparée och Economica1997). P. 14.

[13] Sun Tse, Les treize articles sur l’art de la guerre, Édition refondue et augmentée tirée de la version établie en 1772 par le Père de la Compagnie de Jésus J.-J. Amiòt (1718 – 1794). (Paris : Librarie L’Impense Radical, 1971). P. 80..

[14] J.F.C. Fuller. The Conduct of War 1789 – 1961. (New York: Da Capo Press 1992). S. 256 ff.

 

[15] Gérard Chaliand & Arnaud Blin. Dictionnaire de stratégie militaire des origines à nos jours. (Paris : Perrin 1998). P. 649.

[16] Géré, Dictionnaire de la pensée stratégique, p. 260.

[17] CHEM [Centre des hautes études militaires]. « La surprise stratégique. » Défense nationale et sécurité collective. Mars 2008. P. 41.

[18] Lucien Poirier, Stratégie Théorique II, (Paris: Economica 1987). P. 127.

[19] Ibid.

[20] Edward N. Luttwak. Le grand livre de la stratégie. De la paix et de la guerre. (Paris : Odile Jacob 2002). S. 27 ff.

[21] Clausewitz, De la guerre, p. 210.

[22] Lars Wedin. Från politiskt projekt till militär handling. En introdukton till militärstrategin. (Stockholm: Försvarshögskolan 2009). Pp. 45 – 46.

[23] Norman Friedman. The Fifty-Year War. Conflict and Strategy in the Cold War. (Annapolis: Naval Institute Press 2009). S. 386 ff.

[24] Johan Tuberger, Jan Blomqvis, Bengt Andersson, Niklas Granholm. Strategi för det oväntade 2. (Stockholm: Totalförsvarets Forskningsinstitut 2004). S. 17.

[25] Hervé Coutau-Bégarie. Traité de stratégie. (Paris : Economica 1999). P. 366 ff.

[26] Voir Mark M. Lowenthal, « La première crise du renseignement du président Obama », Le Figaro samedi 9 – dimanche 10, 2010. P. 18.

[27] Gareth Stansfield. « Israeli-Egyptian (in)security : the Yom Kippur War ». Steve Smith, Amelia Hadfield and Tim Dunne (red). Foreign Policy. Theories, Actors, Cases. (Oxford: Oxford University Press 2008). P. 296.

[28] Mirror imagining en anglais.

[29] Joe Strange. Capital ”W” War. A Case for Strategic Principles of War (Because Wars Are Conflicts of Societies, Not Tactical Exerciser Writ large. (Quantico: Marine Corps University 2000). P. 161.

[30] Jean-Baptiste Duroselle, France and the Nazi Threat. The Collapse of French Diplomacy 1932-1939, (New York: Enigma Books, 2004). Pp. 123-136.

[31] Il y avait ceux qui avaient des idées contraires comme le général Colin – voir Général [Jean] Colin, Les transformations de la guerre. Postscript par Lucien Poirier, (Paris : Economica, 1989. [1911]).

[32] Charles de Gaulle, Vers l’armée de métier, (Paris : Éditions Berger-Levrault, 1934).

[33] Vincent Desportes. Comprendre la guerre. (Paris : Economica 2001). S. 115 ff.

[34] David Galula. Contreinsurrection. Théorie et pratique. (Paris : Economica 2008). Pp. 96 – 97.

[35] Johnny Munkhammar et Nina Sanandaji. ”Finanskrisen – ett gigantiskt politikmisslyckande”. Munkhammar Advisory 2008-10-16..

[36] Entretien avec Bengt Gewalli, Humle Kapitalförvaltning octobre 2008.

[37] Jean d’Ormesson. Odeur du temps. (Paris : Éditions Héloïse d’Ormesson 2007). P. 275.

[38] Défense et Sécurité nationale, p. 133.

[39] Par exemple Le Livre Blanc p. 130.

[40] Antoine de Saint-Exupery cité dans Jean-Claude Lehmann, ”Quels objectifs pour la recherche?”, Agir No 37. P. 79